Entretien avec mon père, ostréiculteur
Format 10,5 x 15 cm (texte, couverture photographie couleur)
Texte original enregistré le 7 juin 2010
- Comment tu as commencé dans ce métier, puisque tu n'étais pas de la région et que tu ne connaissais pas l'ostréiculture ?
- Déjà, il faudrait préciser l'époque, j'ai commencé en 1953, je ne connaissais pas du tout l'ostréiculture, j'avais envie de faire ce métier, j'avais un ami qui faisait le parc, il m'a emmené sur place et j'ai pris une concession à la Marine. Pour avoir des parcs à huîtres, il faut prendre une concession, c'est payant, c'est comme une location, ou alors il faut acheter un parc déjà tout fait mais ce sont des valeurs importantes, et moi je n'avais aucun moyen au départ donc je me suis fait mes parcs. Faire les parcs, ça veut dire que l'on est sur une concession, sur un tatch. D'abord, c'était plein d'herbes, comme un pré, un pré qui est dans l'eau. Un tatch, c'est comme une pelouse, le terrain, ça peut être du sable, ça peut être du sable avec un peu de vase ou que de la vase où il faut marcher avec les patins. Là, il fallait mettre un chaland au corps-mort sur le parc et le peler, on appelle ça peler, avec une fourche ou une pelle selon l'état du sol et on aplanit le terrain. Il faut qu'un terrain soit comme un jardin potager, en fin de compte, il ne faut pas de trous et pas de bosses, donc, on nivelle tout ça, c'est un très très gros travail. Un chaland représente à peu près six tonnes au niveau du poids, et souvent, j'en faisais deux dans la marée en cinq ou six heures, ça faisait douze tonnes à charger, et après, il fallait emmener le chaland dans un chenal pour pouvoir le vider, ça faisait donc douze tonnes à décharger également. Alors, ça, c'était un bon travail, c'était une bonne marée.
- Et dans le chenal, il y avait des courants ?
- Oui, quand on va dans un chenal avec un ou deux chalands, il y a une manœuvre importante à faire, et à ce moment-là, c'était avec des pinasses, il ne fallait pas tomber dans l'eau, c'était fini pour nous, avec le courant, on est incapable de revenir sur un bateau qui est mouillé. Déjà, l'ancre, il faut qu'elle tienne, il faut mettre beaucoup de chaînes, beaucoup de cordes, surtout avec le poids de deux chalands derrière une pinasse, il faut savoir manœuvrer, c'est difficile, il ne faut pas faire de faux pas. Et en plus, quand on décharge un chaland, on décharge un côté, donc on est en bascule, il y a un côté qui se lève et l'autre qui s'enfonce, évidemment, tout ça, ce sont des risques à prendre, même que l'on sache nager. Alors si on est plusieurs, ça va mais je l'ai souvent fait tout seul.
- Par rapport à ces paysages du bassin, j'avais l'impression que, enfant, j'allais souvent faire la marée, que j'étais souvent sur ces terres et que j'allais où je voulais... qu'il n'y avait pas de limites à part l'eau, évidemment.
- Ah oui, là, c'est la pleine liberté. De toutes façons, l'eau descend quand on arrive donc on ne risque rien puisque l'eau s'en va et quand elle remonte, ça ne dure pas longtemps, ou alors on peut se baigner, et quand il y a un mètre d'eau, on monte à bord, la marée est terminée, disons.
- Justement, à travers les photographies, c'est ce que je voulais montrer, des paysages à marée basse, donc je voulais qu'on parle de ce rythme des marées qu'ont tous les ostréiculteurs...
- Oui, on vit avec les marées, on a un annuaire pour l'année, on le consulte en permanence, parce que, pour partir d'un port, on sait qu'il faut partir trois heures après le plein-mer, si on veut partir quatre heures après le plein-mer, il n'y a plus suffisamment d'eau. Donc, il faut savoir respecter les horaires. Et après, pour arriver sur les parcs à huîtres, c'est pareil, le temps d'y arriver, à ce moment-là, les bateaux n'allaient pas vite, ce n'était pas des moteurs qui allaient très vite. Si on mettait une demi-heure, trois quarts d'heure ou une heure pour aller sur le parc, il fallait absolument respecter les horaires, et tous les jours ça change à peu près d'une heure, donc on l'a plus ou moins dans la tête.
- Et tu mangeais sur le bateau, au rythme des marées ?
- On mangeait en arrivant sur le parc parce qu'on ne pouvait pas descendre tout de suite, il fallait attendre que les parcs soient découverts. Maintenant, ils peuvent travailler avec l'eau, le chaland avance entre les rangs de chantiers, pour qu'ils chargent ou déchargent les poches d'huîtres qu'ils amènent de la cabane.
- Oui, la différence qu'il y a entre ton époque et maintenant, c'est que tu as travaillé sur des parcs où les huîtres étaient au sol et aujourd'hui, on travaille avec des poches d'huîtres posées sur des chantiers.
- Des poches en grillage plastique qui ont différentes mailles selon la grosseur de l'huître, on les met sur un chantier, un chantier, ce sont des barres de fer qui sont surélevées par rapport au sol, et on les maintient avec des élastiques mais nous, on n'avait pas tout ça, nous, c'était directement sur le sol et on faisait des séparations, on faisait des carrés avec des grillages qu'on appelait des toiles, des grillages qu'on coaltarait pour les protéger. Il fallait tout coaltarer, que ce soit les piquets de bois, tout ce qui était métallique, tout, il fallait tout coaltarer, sinon, ça ne résistait pas au sel. Et donc, on faisait des séparations pour les tempêtes, en prévision des tempêtes. Ça faisait comme des jardins, en fin de compte, c'était une clôture, comme ça quand il y avait une tempête, ça retenait les huîtres, elles s'agglutinaient le long des grillages. Et on essayait de les récupérer, on mettait le chaland le long d'une toile, on le chargeait d'huîtres avec la fourche, d'huîtres et de sable...
- C'était pour les sauver quand il y avait eu une tempête et qu'elles étaient sous de sable.
- Oui, pour sauver les huîtres. Les parcs, il n'y avait plus rien dessus, tout était contre les grillages, emmené par les courants, et les lames, les lames de mer.
- Et quand l'eau descendait, elles restaient comme ça, en tas, elles crevaient si on ne s'en occupait pas rapidement.
- Oui, absolument, on avait trois ou quatre jours pour les récupérer... on y allait la nuit, on y allait même la nuit parce qu'autrement, on aurait perdu beaucoup d'huîtres. Déjà, on en perdait parce qu'on enfourchait quelquefois la coquille. Il fallait trouver le bon niveau, en dessous. Donc, on chargeait les huîtres et le sable en même temps.
- Tu as perdu des huîtres avec les tempêtes ?
- Ah oui, bien sûr, et il n'y a pas que moi, tout le monde en perdait, fatalement, si c'était une tempête importante. En plus, quand c'était une tempête au mord'eau, on ne pouvait pas y aller puisque l'eau ne descendait pas s'il y avait un degré faible, donc là, on risquait même de tout perdre. Les huîtres, au bout de huit jours, elles sont mortes.
- Explique-moi ce qu'est le mord'eau.
- Le mord'eau, c'est quand il y a des petits coefficients de 25, de 30 ou 40, tout ça, ce sont des petits coefficients, les grands coefficients, ça commence à 80 jusqu'à éventuellement, 115 ou même 120, c'est assez exceptionnel mais ça existe...
- Et tu peux travailler quand il y a des gros coefficients ?
- Oui mais il y a beaucoup de courants. C'est plus difficile à travailler quand il y a beaucoup de courants. Alors qu'avec des petits coefficients, l'eau ne monte pas beaucoup et ne descend pas beaucoup. L'eau s'en va moins loin donc la marée est plus courte.
- Le temps d'une marée est variable. Combien de temps la terre reste découverte sur un tatch ?
- Ça dépend également du niveau du parc à huîtres. Il y a les parcs bas, en première ligne, mais on peut être en deuxième ou troisième, en quatrième ligne, c'est-à-dire plus on monte en niveau de ligne, plus on est haut. Celui qui est en première ligne, il ne voit pas son parc découvrir, il faut vraiment des grosses marées, à partir de 80, 90.
- Et donc, une fois que tu as nivelé ton parc, tu le toiles, tu mets des huîtres...
- Ensuite, il faut mettre des huîtres dessus. On le toile, on le prépare bien, puis on jette des huîtres. Alors, les huîtres, on les achetait au Verdon, parce que, au Verdon, ça captait toujours.
- À cette époque, il n'y avait pratiquement pas de naissain.
- Il fallait mettre des collecteurs à partir du 14 juillet, c'était rituel. Là, les huîtres pondent et la laitance se fixe sur les collecteurs, des tuiles qu'on a blanchies auparavant à la chaux, de la chaux vive qu'on a éteinte. C'est une composition de sable, de chaux et d'eau, et on plonge dans un baquet préparé pour ça les tuiles avec un outillage, on appelait ça une pince, une tuile à chaque main. C'est fait pour ne pas abîmer les petites huîtres au détroquage, c'est-à-dire, quand on gratte les tuiles qui ont capté dessus, ça faisait une pellicule d'une épaisseur de deux millimètres. Et à partir du mois de mai, on commençait à détroquer les tuiles avec un couteau qui était légèrement incurvé comme la forme de la tuile, un couteau à détroquer. À l'intérieur, on mettait donc le couteau dans la forme intérieure et on tournait le couteau pour faire l'extérieur. Mais tout était à la main. Il n'y avait pas de machines comme maintenant, on n'avait que les mains pour travailler et les pieds pour marcher.
- Et au printemps, vous récoltiez ce que vous aviez mis en place l'été d'avant en chaulant les tuiles pour collecter.
- Oui, bien sûr, on chaulait les tuiles, il faisait toujours très beau, à cette période, il faisait beau, à part un orage de temps en temps, mais ça séchait vite, ça séchait vite. Alors, on les transportait, c'était lourd, les tuiles, on les transportait par cinq ou par dix sur le chaland pour aller les poser le lendemain à la marée ou le jour même... On les chargeait quand l'eau était haute pour être à peu près au niveau du quai parce que c'était un travail ça aussi. Autrement, ce n'était même pas possible. Donc, on chargeait au niveau du quai, on en profitait et là, on allait directement avec le poids des dix tuiles les mettre sur le chaland. On posait... je ne sais plus combien de tuiles exactement, je ne sais pas, on remplissait le chaland.
- Quand tu emmenais les tuiles dans le bassin, comment ça se passait ?
- Là, c'était agréable, ça faisait du travail, les tuiles, c'est un collecteur qui est lourd mais il y a toujours des ostréiculteurs qui travaillent avec les tuiles. Parce que, maintenant, il y a des machines pour détroquer les tuiles, ce n'est pas trop difficile par rapport à notre temps, ils ont des coupelles, des tubes comme collecteurs, et tout ça avec des machines pour détroquer. Nous, c'étaient vraiment des sacrées corvées, c'était du boulot... Quand on a sept, huit mille tuiles, à l'époque, c'était du travail. Et en plus, c'était une période où ça captait peu, il n'y avait quelquefois que vingt, trente ou cinquante huîtres par tuile alors que maintenant, quand il y a une bonne année, on arrive à trouver mille huîtres par tuile. Et ils les sauvent toutes, nous, on ne les sauvait pas puisqu'on les jetait sur un parc de vase ou de sable, et le sable avait des désavantages aussi parce que ça peut ensabler les petites huîtres. C'est pour ça que, souvent, les huîtres, on les hersait pour les dégager du sol. On avait une herse avec des treuils à chaque bout du parc, il fallait être deux, et ça aussi c'était dur, il fallait de la force pour tourner les manivelles.
- Ça, c'était après, une fois que les huîtres étaient sur les parcs, au fur et à mesure qu'elles grossissaient...
- Oui, on les tournait même à la fourche pour casser la coquille. On appelait ça tourner, on tournait un carré, par exemple, à la fourche, on prenait les huîtres et on les rejetait sur le sol. Ça les renforçait, ça renforçait la coquille, ça coupait un peu les pousses. C'étaient des huîtres travaillées, des huîtres pas travaillées, ça pousse n'importe comment. À l'époque, on vendait de belles huîtres, les huîtres longues, on ne les vendait pas, on les mettait en claire, on les isolait pour qu'elles retrouvent leur forme d'origine et qu'elles fassent de belles coquilles.
- Les tuiles, vous alliez les poser dans l'eau en été ?
- Oui, on allait les poser à partir du 14 juillet. Alors, on pose les tuiles dans des cages qu'on a coaltarées, les cages sont fixées par des pointes sur des piquets et on met les tuiles au moment où l'eau descend. On posait des paquets de tuiles sur les angles des cages pour gagner du temps tant que le chaland flotte parce qu'après, il faut porter les paquets de tuiles à la main en marchant, alors si le sol est mou, avec les patins, c'est désagréable.
- Et là, il y a des allées...
- Des allées de la largeur d'un chaland, on faisait des allées par rapport à la largeur du chaland. Donc, on était entre deux rangs... Mais là, c'était presque un boulot de vacances pour nous. En général, il faisait beau, et la plupart du temps c'étaient des concessions autres que celles des parcs à huîtres. Souvent, on n'avait même pas la possibilité de travailler sur les parcs à huîtres, on ne faisait que ça, poser, donc c'était du repos, presque. On avait vite fait de faire ça. On posait les tuiles dans les cages, après, on mettait nos andorts, nos andorts, c'étaient des petits bouts de bois de chêne qu'on allait faire en forêt pour fixer les tuiles aux cages.
- Ça fermait les cages, en fait, ça les maintenait.
- Ça maintenait les tuiles, c'était maintenu avec ça, on mettait une extrémité de l'andort sous le cadre de la cage et on pointait l'autre côté. Parce qu'il faut penser aux tempêtes. Bien souvent, c'était en première ligne, le long du chenal... Alors maintenant, ils ont trouvé une solution bien plus simple, ils ne sont pas si bêtes que nous, les tuiles sont posées directement sur les chantiers, en camarteau, comme avant et ils mettent des élastiques pour les maintenir. Nous, on n'avait pas d'élastiques.
- En camarteau, ça veut dire qu'elles sont croisées ?
- Croisées, oui, par deux. On mettait cent tuiles par cage, il me semble mais il y a tellement longtemps que je ne me rappelle plus des quantités.
- Et elles restaient dans l'eau jusqu'au mois de mai, jusqu'à ce qu'il y ait du captage.
- Oui, jusqu'au mois de mai. Mais quelquefois, par le froid, les huîtres se décollent de la tuile, les tuiles se pellent, le mortier qu'on a mis s'en va, ça tombe, c'est quand même un travail artisanal, ce n'est pas toujours comme on voudrait que ce soit. Et puis bon, les crabes les mangent et c'est perdu, c'est perdu...
- C'est quelque chose qui est invisible pour nous, quand la marée a tout recouvert, cette vie sous-marine que tu ne peux imaginer réellement que lorsque tu reviens tous les jours sur les mêmes lieux... Alors, justement, le fait que les huîtres soient à plat sur le sol, ça devait être encore pire pour les prédateurs.
- Ah oui, bien sûr, les crabes surtout, parce qu'on blessait forcément les huîtres, on blessait mais on ne triait pas les blessées, ça aurait été un travail excessif... Le plus beau, c'est qu'on mettait des cardines.
- Qu'est-ce que c'est des cardines ?
- C'étaient des petites planches plutôt fines qui faisaient à peu près quinze centimètres de large, on mettait ça, on les coaltarait bien sûr, comme le reste, on les pointait sur les piquets où il y avait le grillage pour empêcher les crabes de monter dans le parc. Alors qu'avec le courant, il y avait des algues qui se formaient, ils grimpaient sur les algues et ils allaient dans le parc, pareil.
- Pour eux, ce n'était évidemment pas une limite. Et les pignots, ce sont des limites, ce sont des marques de propriété ?
- Chacun avait ses repères, on mettait des repères sur les pignots. Il y avait des forestiers qui ne faisaient que ça, à la saison, des pignots pour les ostréiculteurs, livrés par camion. Alors les pignots, ils n'étaient pas tous droits, il y en avait qui étaient de travers, on les reconnaissait. C'étaient des jeunes pins mais qui faisaient quand même cinq mètres de long, quatre ou cinq mètres de long, c'étaient des petits pins, on les appointait... Moi, je le faisais à la main, à la serpe. Et puis, pour les planter, il fallait une pompe, on avait tous une pompe pour le bassin. Et avec une lance en métal qui faisait à peu près un mètre de long, on l'enfonçait avec la force de la pompe à eau, on mettait les piquets sur le chaland, on faisait une ligne, on mettait le pignot aussitôt et là, ça tenait. Alors, comme il y avait des pignots qui étaient plus ou moins de travers, on reconnaissait nos parcs, même sans marque, rien qu'en les voyant.
- Oui, il n'y a pas beaucoup d'indications pour se repérer sur le bassin...
- Quelquefois, il y en a qui pointait un morceau de grillage, un morceau de grillage ou un bidon, un repère quoi. C'étaient nos repères. Ça existe toujours, aujourd'hui, on met toujours des pignots. Parce que ça ne servait pas que de repères, ça empêchait également les prédateurs de passer, et quand un poisson, par exemple, se retrouve le long des pignots, il continue en nageant, il longe les pignots.
- Aujourd'hui, on est très alerté par les tempêtes parce qu'il y en a souvent et on a tendance à penser qu'il y en a plus qu'avant...
- Ah non, je maintiens que non. Nous, à notre époque, on avait énormément de tempêtes, énormément. Une année, il y a eu sept tempêtes consécutives. Nous, il nous restait plus rien. Il fallait vite vendre les huîtres marchandes, parce que, à ce moment-là, on ne vendait pas nos huîtres nous-mêmes, chacun avait ses spécialités, il y avait les expéditeurs et les ostréiculteurs qui n'étaient pas expéditeurs, les ostréiculteurs vendaient leurs huîtres à l'expéditeur qui était aussi ostréiculteur mais il en achetait beaucoup, beaucoup. Il fallait voir les camions, les trains, les trains chargés d'huîtres qui partaient au moment de Noël. C'était une sacrée industrie. Et on n'en vendait, en gros, qu'une fois dans l'année, à l'époque de Noël, à partir du mois d'octobre, on commençait à livrer aux expéditeurs, et à Noël, on avait fini de vendre nos huîtres. Alors que maintenant, ils vendent régulièrement, ils vendent des huîtres toute l'année donc ils argentent tout le temps.
- Quand tu dis qu'il y avait sept tempêtes dans l'année, il faut être tout le temps sur l'eau sinon tu perds ta production.
- Oui, on y allait même la nuit. C'est tellement tassé que l'huître ne peut même pas boire, c'est tellement tassé, c'est comme du ciment parce que le sable vient à mesure de la tempête, à mesure des lames qui balayent. Parce que, ça dépend de quand a lieu la tempête, à quel niveau d'eau, suivant le niveau d'eau, ça continue à tasser contre le grillage. Le sable revient dessus, c'est un bloc, un véritable bloc, alors, à la fourche, il fallait trouver le bon niveau et passer sous ce bloc sans trop abîmer mais en abîmant beaucoup quand même...
- Combien y avait-il de perte, à peu près, à la suite d'une tempête ?
- C'était énorme, on ne peut même pas savoir, on ne peut même pas le calculer. Déjà qu'il n'y avait presque pas de captage, on était obligé d'acheter les huîtres au Verdon, j'ai fait ça deux ans, on allait au Verdon, on portait les coquilles vides qu'on empochait, on faisait même nos poches, nos poches en grillage. On formait nos poches à la main, on les accrochait, et avec un entonnoir, on versait les coquilles, on avait des raquettes pour les faire tomber et les tasser dans le grillage et on les emmenait au Verdon comme captage.
- En fait, c'étaient vos propres coquilles d'huîtres mortes qui étaient réutilisées pour faire du captage.
- Au moins, elles nous servaient à ça, faire du captage au Verdon. On travaillait presque pour rien sur la fin, donc on était obligé d'aller au Verdon, ça nous faisait des frais supplémentaires. En fait, c'était de la survie. Si on ne faisait pas ça, il fallait acheter des petites huîtres du Verdon, ça faisait quand même un pourcentage en moins de bénéfice, il a bien fallu le faire, au début, j'ai fait comme ça.
- Et malgré tout ce travail, est-ce que vous aviez le temps de profiter du paysage, de vous promener, de vous baigner...
- Non, non, non, moi j'allais ni à la pêche, ni à la chasse. Ni dimanche, ni rien du tout... sauf au mord'eau. Le mord'eau, on ne pouvait pas aller sur l'eau donc on faisait du travail de maintenance, du travail à la cabane, à terre, entretenir, il y avait beaucoup de travail, beaucoup, le repos, on ne connaissait pas.
- Il y a un langage précis dans le bassin, on emploie des mots spécifiques, issus du gascon... et il y a un langage qui est propre à l'environnement ostréicole avec des mots que j'ai toujours entendus, la panetière, l'esquirey, la traïne, l'estey, etc...
- L'estey, c'est l'accès aux parcs à huîtres... Lorsque l'eau descend, il reste toujours un peu d'eau dans les esteys. L'estey s'en va en chenal. C'est l'eau de toutes les terres qui tombe dans les esteys et l'eau des esteys tombe dans le chenal, le courant d'eau tombe dans le chenal. Ça fait des bras, des bras d'eau.
- Évidemment, plus c'est haut, plus c'est découvert à marée basse et les hauts fonds, on les appelle des tatchs.
- Sur les tatchs, il reste quand même de l'eau, qu'on appelle des bailles, les bailles, ce sont des petits bassins où il n'y a pas de bras d'eau, donc ils ne se vident pas, ça fait comme des petits lacs qui sont plus ou moins importants et là-dedans, on pêchait, quand j'avais le temps, je pêchais des crevettes avec l'esquirey. Il fallait surtout pêcher là où il y avait des herbes. Il y avait de tout dans ces bailles. Tout ce qui est vivant, ça va se cacher dans les herbes.
- Les étendues de terre, à force de flux et de reflux, ont des aspects très changeants avec le passage des courants. Le sable bouge beaucoup, il se déplace sur les parcs ?
- Sur les parcs, on était obligé de herser les huîtres parce que, par moments, elles étaient ensablées, elles étaient ensablées, alors, avec la herse, ça les dégageait pour qu'elles puissent boire à la marée montante, autrement, elles auraient pu continuer à crever, à la rigueur, à être complètement ensablées.
- Quand on voit le paysage, globalement, il reste relativement plat, donc ce sont des mouvements de fond générés par les marées.
- Oui, c'est par la pression de marées, suivant les courants, s'il y a un courant de 115, c'est fou ce que ça travaille le sol, surtout où il n'y a pas d'herbes. S'il y a un obstacle, par exemple des piquets, si le courant heurte les piquets, ça va faire un écart et là, l'herbe va pousser. Et puis, ça dépend aussi de la qualité du sol pour les herbes. Il y a des herbes qui se plaisent mieux dans un sol moyennement sableux et d'autres dans la vase.
- Sur une des photographies, il y a comme une petite île, c'est un mini paysage, un amas de coquilles d'huîtres, et du coup, les petits coquillages et les algues s'y accrochent...
- Ça peut se modifier tout le temps, tout le temps, ne serait-ce que par un courant fort, par une tempête...
- C'est un paysage qui est relativement éphémère, finalement.
- Ah, c'est éphémère le paysage du sol du bassin, bien sûr, il y a tellement de courants.
- Tu as eu des problèmes en naviguant ?
- Oui, bien sûr, quel est le professionnel à qui il n'est rien arrivé. Moi je suis rentré dans un chaland, une nuit, ma pinasse est montée sur le chaland, a défoncé le chaland et ma pinasse n'a rien eue. Et puis, j'étais tout seul.
- La nuit, tu n'es pas éclairé. Comment tu te diriges ? C'est l'habitude ?
- Dans la nuit, on y voit bien. C'est incroyable, je ne dis pas qu'on y voit au point de dire là, je suis à tel endroit exactement mais on y voit bien, il y a des reflets... La nuit, il y a toujours des reflets, il y a des trucs très sombres, par exemple, un chaland, sur l'eau, qui est noir, il va être bien plus sombre que l'eau donc on voit une masse sombre, on voit les pignots aussi, plus sombres. Mais là, j'étais en train de regarder à l'arrière du bateau, il y avait une fuite d'eau et j'étais à toutes pompes.
- C'est quoi à toutes pompes ?
- Le moteur à bloc, heureusement d'ailleurs car la pinasse avait le nez en haut. Alors, tout d'un coup, je me relève, trop tard. Trop tard, je ne pouvais rien faire. Et comme j'allais très vite, avec le choc, ma pinasse est carrément tombée sur le chaland. J'ai foncé dessus avec la quille. Et après, pour sortir de là, la pinasse était encastrée dans le chaland, et tout seul, de nuit. J'ai réussi avec la barre à pousser de fond. On a toujours une barre sur une pinasse, pour pousser, pour manœuvrer, une barre comme un pignot, pelé, lissé.
- Ces grands pignots lisses, les barres à pousser le fond, ça servait tout le temps, pour accoster, pour caler le bateau...
- On s'en servait toute la journée, enfin, toutes les marées, on s'en servait pour manœuvrer. Et en insistant, j'ai réussi à débloquer la pinasse du chaland. Après, il a fallu que je prenne le nom du chaland, que j'aille à la Marine pour chercher le propriétaire, je lui ai expliqué, je ne me rappelle plus comment ça s'est passé mais enfin, ça n'a pas été compliqué.
- Et qu'est-ce qu'il faisait là ce chaland, en plein milieu, tu peux laisser un bateau n'importe où ?
- T'as le droit, oui, un chaland, tu peux le mettre sur un corps-mort... Au début, quand j'ai pelé mes parcs, je laissais mes chalands sur place, j'avais mis des corps-mort pour ne pas les ramener tous les jours, quand on prévoit de travailler un mois, par exemple, de peler les parcs, on laisse les chalands là-bas.
- Et donc qu'est-ce que c'est un chaland parce que, maintenant, je ne sais pas s'il en reste encore beaucoup.
- En gros, c'est une boîte en bois, c'est une boîte plate de huit, neuf mètres de long qui porte quand même cinq ou six tonnes, il est fait tout en pin. Il y a une sole, comme un bateau mais c'est plat, les côtés, les bouts, tout ça, c'est fermé, on met des bouchons, des nables qui se dévissent pour vider l'eau parce qu'il peut prendre l'eau. Le pont, par contre, ça travaille beaucoup, le pont d'un bateau, ça travaille énormément, l'été... Et en plus, ils étaient peints en coaltar noir, alors le noir, il ne repousse pas la chaleur, on ne mettait pas la main dessus, sur le noir, le goudron fondait. Autrefois, on mettait des toiles qu'on posait sur les ponts, puis on les arrosait tellement ça travaillait le bois, ça travaillait énormément.
- C'est très particulier la navigation dans le bassin.
Oui, et en plus, il y a plein d'obstacles qui ne sont pas signalés, ne serait-ce que les cages, enfin maintenant, il n'y a plus de cages mais il y a les tuiles, les tuiles ne sont pas signalées, et les bancs de sable qui se déplacent... De haute mer, on croit qu'on peut naviguer n'importe où, on peut croire qu'on peut naviguer n'importe où mais ce n'est pas vrai. Il faut rester en chenal. Et même quand on navigue dans un chenal, de basse mer, on est surpris de voir qu'il y a très peu d'eau par endroits, il y a beaucoup de bancs de sable qui se forment. Il faut faire attention parce que, on le voit, il y a une nuance de couleurs dans l'eau, ce n'est pas la même couleur, lorsqu'il y a un banc de sable qui est juste en dessous, l'eau est beaucoup plus claire. Il faut être habitué à naviguer, il faut connaître, il faut avoir de l'expérience. Moi, je n'avais aucune expérience, au début, mais il ne m'est pas arrivé trop de problèmes, parce que je ne connaissais rien au départ, rien du tout.